La fin de l'humain

Publié le par Boutigny Guillaume

LES FEUX DANS LA PLAINE

Etonnant de se dire que le réalisateur de deux des plus grands films japonais anti guerre n'ait jamais réellement connu la guerre, de façon frontale, en tant qu'expérience. C'est d'ailleurs peut etre pour cela que ICHIKAWA Kon prefere généralement parler de l'acte de guerre en ellipse plutot qu'en image. Dejà dans La Harpe de Birmanie, la guerre n'etait qu'une toile de fond. Ici encore, dans Les feux dans la plaine, la guerre est decontextualisée pour aller vers un discours plus général et universel sur la deshumanisation.

Malade, le soldat Tamura est rejetté d'une part par sa hierarchie qui lui ordonne de rester à l'hopital, et d'autre part par l'hopital qui ne veut pas de lui. Perdu entre ces ordres contradictoires, il va commencer à errer, seul, à la recherche de nourriture. Il va faire la recontre d'autres soldats, eux aussi à l'abandon.

Decontextualisation. Une chose est sure dans Les feux dans la plaine. Nous sommes en Asie dans un pays où le Japon est en guerre. Et si ca n'etait quelques rares indices comme ces deux villageois, rien ne laisserait présager d'une localisation certaine du drame. Mais est ce important ? Le fond du film, son message anti guerre, est trop général pour ne s'arreter qu'à une simple representation du réel, d'un réel. Alors ICHIKAWA efface minutieusement les reperes géographiques et meme temporels (dans une fourchette, ceci dit, réduite). Les paysages sont vidés de substance et de vie. Les quelques rares personnages les traversant sont aussi filmés comme perdus dans un gigantisme, une infime trace de vie dans des décors apocalyptique, presque infernaux.

Car on ne sait jamais réellement si les personnages sont morts et marchent dans un enfer de solitude et de perte de reperes, ou si ils sont justes presque pas morts dans un paysage qui l'est. La solution la plus envisageable est considerer les quelques personnages comme morts, humainement morts tout du moins. Car si le corps avance, l'ame est absente. On retrouve un peu de Platon pour qui l'ame est le premier moteur du corps. Les humains qui étaient partis à la guerre ne sont plus que des coquilles vidées de sentiments. On pense quelques fois à une horde de zombies, aidés par de magnifiques plans de non humains marchants dans la boue, le regard vide. Seul l'instinct de survie animal est préservé, vestige animal d'humains ravagés par les horreurs, la fatigue, la peur, la faim. Poussés à l'extreme, les hommes ont lachés prises, pour fuir la pression. Ils errent maintenant sans but autre que survivre au jour le jour. Les quelques humains-animaux que Tamura va croiser se construisent néanmoins un simulacre d'humanisation, vain. La déchéance est totale et le film pousse loin le discours avec mention du cannibalisme (un fait avéré, dans les guerres en Asie du Sud Est) ou de cropopahagie. Tamura, quant à lui, voit son parcours se méler insidieusement à une lente deshumanisation, qu'il sait implacable mais qu'il tente desesperement de combattre. Son regard de surprise et de peur sourde lorsqu'il assiste impuissant à la déchéance de ses camarades soldats marque durablement les esprits. Tout comme l'impact de la scene finale. Délivrance.

ICHIKAWA impose toutefois une distanciation qui sera jugée salvatrice ou dommageable, par d'habiles secondes d'humour (discret et fin), et par une contemplation plutot qu'une action. Les feux dans la plaine n'est pas aussi poignants que la Trilogie de la Condition de l'homme (le troisieme volet en particulier) qui traite de façon beaucoup plus dure le sujet de la perte d'humanité en terrain de guerre. Mais en l'état le film d'ICHIKAWA est quand meme un monument de pessimisme, contrepoint à La harpe de Birmanie, dont le message sur l'humain ne peut laisser insensible dans sa violence malheureusement réelle.


Fires on the plain (野火) aka Les feux dans la plaine
1959
Studio : Daiei
Un film de ICHIKAWA Kon (
市川崑)
Avec : FUNAKOSHI Eiji (船越英二), Mickey CURTIS, TAKIZAWA Osamu (滝沢修)

Publié dans Cinéma Japonais

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S
ce film m'intéresse, curieux de voir ce que peut faire Ichikawa Kon en contradiction après La hapre de Birmanie humaniste. Ce réalisateur m'intéresse de plus en plus dans sa démarche en tout cas..
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B
<br /> ICHIKAWA était un orfevre de la mise en scene. De part ses storyboards efficaces et ultra précis (il était d'abord dessinateur et animateur, ca laisse des traces) il arrivait avec une idée dejà<br /> cent fois pensée de mise en scene, que cela soit niveau cadrage, lumiere, placement des éléments etc... Et il n'etait jamais à cours d'idées. Résultat : une filmographie formelle foisonnante. Sur<br /> le plan de l'interet, tout n'est pas formidable. Mais le probleme c'est malgré la masse de films qu'il a réalisé, tres peu sont dispos pour le public occidental. J'adore vraiment ce réalisateur,<br /> mais depuis quelques temps j'ai éclusé ce que j'avais de lui; cad pas grand chose comparé à sa filmo complete. C'est frustrant.<br /> <br /> <br />